Grade d’Excellent Maître
Commentaires
par Roger Dachez
29 mai 2008
par Roger Dachez
29 mai 2008
L’étude du grade ou de la cérémonie d’Excellent Maître ou Passage des Voiles est une question complexe qu’il faut d’abord replacer dans son contexte historique. En 1730, le grade de Maître est divulgué en Angleterre. En 1744, un grade d’Arc Royal est pratiqué à Dublin. En 1746, Laurence Dermott le reçoit. Dès cette époque, une sorte de cohérence initiatique peut s’établir ainsi : Apprenti, Compagnon, Maître, Maître de la Loge, Arc Royal. Le grade de Maître est articulé principalement autour de la perte du Mot c’est-à-dire, en réalité, la perte de la manière de prononcer le nom de Dieu. Dès lors, il devient logique de chercher à retrouver cette parole. C’est précisément l’objet de l’Arc Royal que Dermott définissait comme « la racine, le cœur et la moelle de la franc-maçonnerie ». Et, de fait, que peut-on espérer de plus lorsqu’on a retrouvé la véritable manière de prononcer le nom de Dieu ? Le cycle initiatique est clos.
Mais si la trame ou le cadre initiatique de la franc-maçonnerie est pour ainsi dire fixé dans sa simplicité originelle (on perd le Mot et on le retrouve), on peut formuler l’hypothèse que dans un pays comme l’Angleterre, de tradition protestante c’est-à-dire pétri de lectures bibliques, on ait ressenti le besoin de construire une histoire initiatique qui, si l’on s’en tient à la chronologie biblique, se déroule sur près de 4 siècles, d’une manière plus élaborée. C’est l’occasion de redire ici que la compréhension profonde de ce cycle est soumise à la lecture approfondie et constante de l’Ancien testament : Pentateuque, Livres des Chroniques, Livres des Rois, Josué, Esdras. Ainsi, petit à petit, se sont constitués des grades dont l’objet est, non seulement, de combler le vide historique entre le 1er (Maître Maçon) et le Second Temple (Arc Royal), mais aussi de donner une cohérence à cette histoire. C’est précisément l’objet de ce que l’on appellera plus tard les grades cryptiques. Par exemple :
Nous arrivons alors aux grades d’Excellent Master (en 536 l’Edit de Cyrus autorise la reconstruction du Temple) et de l’Arc Royal (en 534 découverte de la voûte et du Mot sacré).
Tous ces grades que nous venons de présenter d’une manière chronologique cohérente (selon l’histoire biblique) se sont probablement constitués progressivement en Angleterre d’abord au XVIIIème siècle puis ensuite, au XIXème siècle aux USA où ils ont été fixés, au terme de cette lente et longue maturation, dans les années 1870.
En Angleterre, ce système de grades cryptiques ne s’est pas imposé. La réception de ces grades eux-mêmes est facultative, « by invitation » comme disent nos frères anglais, et ils ne sont pas nécessaires à l’obtention de l’Arc Royal qui est délivré au candidat un mois après avoir été reçu Maître maçon, « by application », c’est-à-dire qu’il suffit de le demander. Ainsi, après avoir reçu l’Arc Royal, le candidat pourra recevoir ces grades « intermédiaires » dans un ordre aléatoire. Et finalement, c’est peut-être là que l’on trouve le véritable esprit de la Maçonnerie anglo-saxonne, dans cette déambulation libre au cœur des livres de l’Ancien Testament.
Discussion :
L’histoire de ces grades reste encore très mystérieuse. Au XVIIIème siècle seuls les noms des grades sont connus mais pas les rituels. Il faut donc être prudent car le contenu des grades ne correspond toujours à leur intitulé. Aujourd’hui encore, en Irlande, les rituels maçonniques ne sont pas imprimés. Pierre Petitjean et Pierre Gauchet qui ont eu la chance de visiter les locaux du Suprême Conseil d’Angleterre ont pu ainsi voir un mystérieux coffre qui appartient à des frères irlandais qui viennent dans les dits locaux une fois l’an. Mais personne ne sait ce que contient ce coffre…
La libre déambulation d’un grade à l’autre, implicitement proposée par la Maçonnerie anglaise, est très différente, dans l’esprit, d’une certaine maçonnerie française qui a érigé en dogme la « progression initiatique ». La mise en système des grades maçonniques est sans doute inévitable mais donner un numéro à un grade n’a, à proprement parler, aucune signification. L’essentiel est de construire des logiques, des cohérences signifiantes. C’est à quoi s’emploie la « Maçonnerie Traditionnelle Libre » : construire un discours, mais n’importe comment, en s’appuyant sur un fondement historique solide seul capable de donner une signification traditionnelle authentique aux grades pratiqués. Car, in fine, qu’elle est la nature d’un grade maçonnique dans la tradition anglo-saxonne ? C’est de mettre en scène un épisode mythique d’un livre considéré comme sacré pour en devenir un acteur et lui donner, en nous, une réalité vivante. C’est la vie maçonnique.